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Ce blog est consacré aux nouvelles utopies urbaines, qui vont naitre de relations à redefinir entre technologies, espèce(s) humaine(s), nature(s), cultures et urbanisme. La ville de la Renaissance avait placé l'homme en son centre, la ville baroque y plaça la nature, le XXe siècle la démesure et la guerre.. Qu'est ce qui sera essentiel à la ville du futur, celle où nous voulons vivre, où nous pourrions vivre, en paix? site : www.atelier-acturba.fr

lecture de Marshall Sallins - Age de pierre, âge d'abondance

"Considérons ces mouvements chroniques des chasseurs qui vont et viennent d'un camp à un autre, ce nomadisme incessant que nous interprétons comme le signe d'une anxiété certaine, alors qu'ils s'y livrent avec une certaine désinvolture." page 69 dand l'édition NRF Gallimard

M. Sallins est sans doute le plus grand anthropologue nord-américain. Vous regarderez sur internet sa bibliographie et son parcours.
Ce qui est passionnant dans la lecture de ce livre, à la fois d'une maîtrise scientifique de haute volée et d'une saveur formidable maniant une ironie très drôle (surtout à l'égard des ethnographes étroits qui se sont tant de fois trompé dans leur lecture de ces pauvres, modestes et fragiles tribus primitives) c'est le renversement, l'art du contre-pied.

 

"Certes les chasseurs changent d'emplacement parce que les ressources alimentaires d'une région sont épuisées. Mais on ne comprend ce nomadisme qu'à moitié si l'on y voit une fuite devant la famine; car ce serait méconnaître le fait que l'attente des nomades n'est généralement pas déçue, qu'ils trouvent au-delà vallées plus vertes encore...Aussi bien leur errance n'est-elle nullement inquiète et se déroule-t-elle avec toute la bienheureuse nonchalance d'un pique-nique au bord de la Seine". Page 70, chapitre La première société d'abondance.

 

M. Sallins montre à quel point le discours de la rareté qui a imprégné notre période moderne depuis l'homo oeconomicus a mis des oeillières y compris aux ethnologues, qui ont vu de la rareté là où en réalité (chez les Bochimans de Victoria par exemple)  il y avait abondance, de l'irrationalité là où on doit lire de l'optimisme lié à l'abondance des ressources, et qui n'ont pas compris qu'il s'agissait de ne pas se fatiguer à la tâche et conserver de grandes plages de loisirs (le jeu est très présent) ou de sommeil dès que lors que le nombre de calories (chiffres à l'appui) était assuré pour tous, etc.

 

Ces tribus font preuve de deux comportements quasiment coupables, et incompréhensibles aux yeux de certains observateurs (y compris les premiers Jésuites qui les croisent dès 1620), qui  sont la prodigalité - ils font bombance où qu'ils se trouvent car ils trouvent de quoi faire partout où ils se trouvent - et ils se révèlent incapables de faire des stocks de nourriture ou des réserves. Alors que ce serait possible techniquement, ils ne s'y livrent pas pour des raisons économiques (plus avantageux de changer d'emplacement) et sociales (il faut que tout le monde trouve sa pitance facilement, non en puisant dans les stocks faits par les plus besogneux). Le déplacement et la mobilité est l'équation de leur adaptation permanente aux contraintes écologiques, néanmoins réelles, qui conduisent aux rendements décroissants.

 

Et l'auteur de montrer que le temps de loisir des hommes n'a jamais été aussi important qu'au paléolithique, soit avant l'invention et la pratique de l'agriculture, qui constituera la première société du travail.sallins.jpg

 

Enfin, si c'est grâce au mouvement que les chasseurs-collecteurs font face aux rendements décroissants de nourriture, celui-ci doit être facilité : peu d'objets, pas de doublons, aucune accumulation. Voyager léger, ne pas s'encombrer. La contrepartie en est l'absence de progrès technique, d'innovation. Mais à quoi bon, quand la nature vous témoigne partout sa prodigalité, et vous laisse du temps pour goûter la vie?

 

Depuis ce âge d'abondance, tout n'est devenu que rareté, peur de manquer, et stockage. Accumulation contre l'angoisse. Capitalisation pour se croire à l'abri. Et abandon de l'otium, le loisir, pour une vie toujours plus besogneuse. En effet, à suivre Sallins, l'âge d'abondance n'est pas forcément celui que l'on croit, la pauvreté est une invention moderne, et l'économie des besoins infinis a changé notre rapport à la rareté.

Il cite Karl Polanyi qui écrit en 1947 : depuis le néolithique, on a délibérement aggravé notre humiliant assujettisement aux choses matérielles, que toute culture a précisément pour but d'alléger".

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